La France, qui pendant longtemps a cuitivé un rationalisme universaliste et se croyait le centre intellectuel de la civilisation occidentale, se heurte aujourd’hui à une diminution de son influence internationale, ce qui pose devant elle le probèeme de sa propre culture intellectuelle, l’obligeant de se reconnaotre comme une culture nationale particulière, ayant des traits distinctifs et une forme particulière de la pensée. De plus en plus nombreuses publications, en France même et ailleurs, visent à définir cette configuration particulière, ses rapports entre les structures proprement intellectuelles et d’autres niveaux culturels: tels par exemple l’unité de la pensée scientifique et mondaine (exprimée dans la vieille formule la république des lettres) ou bien le caractère mixte, scientifique et engagé à la fois, de la «nouvelle théorie française» constitude dans les années 1960–1980, ou bien le statut exceptionnel de «l’intellectuel public». Il s’agit finalement de redéfinir la place de la France dans la culture mondiale, d’évaluer son rayonnement intellectuel moderne.

Certains de ces problèmes et certaines de ces publications font la matière du présent recueil, réunissant des articles des auteurs français, russes et des autres pays (Etats-Unis, Allemagne), selectionnés par Serge Zenkine.

La première partie de l’ouvrage est consacrée au statut de la langue dans une culture intellectuelle. Antoine Compagnon s’interroge sur les causes et les conséquences d’un certain déclin du français comme objet d’études dans le monde; Michael Kohlhauer fait une confrontation raisonnée entre les catégories littéraires françaises et allemandes, pour dégager une complémentarité de ces deux manières nationales de penser la littérature; Jean-Claude Milner montre l’importance des precédés de langage pour l’écriture et la pensée de l’un des plus brillants critiques français modernes, Roland Barthes.

La deuxième partie traite de la fameuse «théorie française», ou plus précisément de sa réception en dehors de la France. François Cusset dresse un bilan de l’histoire de la «French Theory» aux Etats-Unis, Sylvere Lotringer et Sande Cohen abordent le même problème dans un genre mémorialiste ou polémique; Alexandre Dmitriev esquisse une histoire de l’appropriation des idées théoriques françaises en Russie post-soviétique.

La liaison intime du littéraire et du politique est un autre trait significatif de la culture française, que les articles de la troisième partie éclairent sous l’aspect historique. Mikhanl Iampolski, sur un exemple précis (la France politique vue par Heinrich Heine), met en lumière la manière dont la France post-révolutionnaire apparaissait aux intellectuels étrangers. Vera Miltchina, Serguei Fokin et Tatiana Sokolova analysent les formes de l’engagement politique, conscient ou inconscient, des grands poètes français du XIXе siècle (Hugo, Baudelaire, Lamartine, etc.). Gisèle Sapiro, en s’appuyant sur les résultats d’une analyse sociologique, décrit l’histoire des catégories «gauche» et «droite» dans la littérature française du XXe siècle.

Un aspect particulier du problème «littérature et politique» est le rule de «l’intellectuel», déjà mentionné plus haut. C’est le sujet de la quatrième partie de l’ouvrage. William Duvall dresse un bilan critique (mais non désespéré) des «illusions perdues» des intellectuels français. Dina Khapaeva, en se basant sur ses entretiens avec les chercheurs français en sciences humaines, montre le lien entre le déclin des «intellectuels» et les nouveaux problèmes méthodologiques de la recherche. Michel Surya, dans un pamphlet intentionnellement engagé, reproche aux intellectuels d’aujourd’hui d’avoir trahi leur mission d’opposants au régime en place.

La dernière partie regroupe les actes d’un colloque franco-russe de 2003, consacré à l’un des plus profonds écrivains et intellectuels français du XXe siècle, Maurice Blanchot. Dans leurs articles, Boris Doubin, Dominique Rabaté, Serguei Fokin, Serge Zenkine et Jean-Luc Nancy analysent divers problèmes de sa pensée et de son њuvre littéraire: la nouvelle mission du poète dans le monde moderne, l’idée de la littérature comme expérience, la théorie du roman, le statut et le fonctionnement de l’image visuelle, le concept de «résurrection de la mort» chez Blanchot.

L’ouvrage se termine par une bibliographie imposante des traductions russes de la philosophie et des sciences humaines françaises en 1995–2004, qui permet d’apprécier quantitativement l’impact de la pensée française en Russie, l’intensité du dialogue entre les deux cultures intellectuelles.