Toujours encore en ville et la raison si triste -- la pauvre Анна Ант<оновна> est tres malade et Dieu sait, si elle en rechappera, mais j'espere toujours pour le mieux. Alexis vient de partir pour les terres, Pierre avec le Duc. Nous attendons Barbe, son mari et sa delicieuse petite, mais encore elle ne peut demeurer chez nous, car nous avons eu la rougeole et avons encore la cocluche. Quel beau temps! et Dieu sait, quand nous irons a Prioutino. Comme la riviere est belle! quel beau ciel! pas un seul nuage. La Neva est comme une beaute fiere, calme, tranquille, mais belle, tres belle... De la fenetre je vois la forteresse et ses remparts, le pont sur la Neva... J'entends de loin le bruit des equipages -- quel beau tableau, comme il est melancolique, comme il fait rever! comme il fait penser a la vie et surtout au futur. On me demande ce que j'ecris, on voudrait lire mon journal! Ils ne le verront pas! Au reste, il ne pourrait que les attrister.

  Alexis, en partant, me priait de lui faire une surprise pour son arrivee. Il parlait souvent du.... Je voudrais bien recevoir au plus vite sa premiere lettre. Et pourquoi? dit la conscience. Parce que je suppose, qu'elle sera remplie d'interret.

L'Interet.

  Une Physionomie agreable, douce, mais melancolique, l'oeil vif, anime, les cheveux tout a fait gris, une taille moyenne, maigre. Une grande proprete dans la toilette sans affectation de petit maitre. Une maniere aisee, douce, agreable, prevenante. Voila l'exterieur de cet homme charmant. En le voyant je me dis de suite: "It is a perfect gentleman" et je ne me suis point trompee. En general je trouve que l'exterieur trompe rarement et surtout les yeux. Sa personne inspire l'interret du premier coup d'oeil et il le conserve pour toujours. Jamais je ne fus prevenue pour personne autant que pour cet homme, il m'inspira cette confiance, cet estime, qui est la base de tous les sentimens distingues. Etant avec lui il me paraissait que j'etais avec cet etre superieur, avec cet homme au quel j'aurais volontier et sans crainte confie mon existence. Pour lui je n'avais point d'amour ideal, tout n'etait qu'estime, respect, admiration.

  Son age (je crois 40 ans) ne m'effrayait point. C'est sur lui que je pouvais compter car ses principes si purs garantissaient le bonheur. Sa reputation sans tache, l'amour, que lui porte tout le monde, me prouvait bien, que le voir et l'aimer etait la meme chose. Heureuse la femme qui l'aura: il doit etre fait pour rendre le monde heureux.

  Nous avons ete mardi passe chez Ficher. Quel bel etablissement! Comme j'ai joui par ce que l'Interet y etait. Nous etions Mon Pere, Maman, Meendorff, le comte Welhorsky, Alexis, ma cousine Marfa et Mme Adam, nee Poltoratsky, aussi ma cousine, femme charmante. J'ai bien plaisante le comte sur sa science botanique. Il etait aussi aimable que d'ordinaire et a demande de passer la soiree chez nous. Le soir nous avons eu Glinka et Ivanoff, un chantre de la cour. Dieu! quelle belle voix de Tenor! Le comte est venu tard, mais il a chante, est reste tres tard, tres tard. Voila tout, voila tout, voila tout!